Chaumont script: un alphabet digital né de lettres peintes

0
687
Chaumont script
La peintre en lettres Chantal Jacquet entourée de Timothée Gouraud et d'Alexandre Bassi, lors du lancement officiel de cet alphabet désormais numérisé.

Une enquête suivie de la sauvegarde d’un patrimoine immatériel: des panneaux municipaux, peints à la main, ont donné naissance à une typographie 100% haut-marnaise disponible dans toutes les langues européennes d’écriture latine.

Des “slips de bain obligatoires” jusqu’au “STATIONNEMENT LIMITE A 10 mn”, à Chaumont subsistent toujours quelques panneaux municipaux en lettres peintes à la main. Aussi surprenant que cela paraisse, ils ont donné naissance au Chaumont script, un alphabet numérisé 100% haut-marnais, utilisable dans toutes les langues européennes d’écriture latine. Oui, c’est bien de cette préfecture du Grand Est, 21 700 habitants au compteur, qu’a surgi cette nouvelle typographie à rayonnement international. Mieux, elle fait un pied de nez à la monotonie, sous l’effet -et l’obstination- conjugués d’un trio d’acteurs. Honneur aux dames. Chantal Jacquet, peintre en lettres désormais retraitée, est l’auteure autodidacte de cette signalétique. Honneur aussi aux jeunes hommes Timothée Gouraud, graphiste fondateur de Fabrication Maison, et Alexandre Bassi, créateur de caractères et diplômé de l’Agence nationale de recherche typographique (ANRT) à Nancy. Bien sûr, l’alchimie a fonctionné car il y a un contexte que les fondus de design graphique connaissent: Chaumont, capitale réputée de l’affiche, abrite le très contemporain centre national du graphisme-Le Signe. 

Au départ néanmoins, cela n’a pas été facile. S’installant à Chaumont en 2016, Timothée Gouraud est vite intrigué par ce “Parking réservé aux abonnés” qu’il aperçoit depuis sa fenêtre. Début de l’enquête. A la piscine Youri-Gagarine, c’est un festival du genre. A chaque fois, des lettres “toujours pareilles, mais pas exactement pareilles”, rapporte-t-il, séduit par ces “dessins de lettres assez étonnants”. Or le temps a passé. Timothée Gouraud doit mener une véritable enquête pour en identifier l’auteur. En l’occurrence donc, Chantal Jacquet, qui vit aujourd’hui à Arc-en-Barrois.

Un f incongru, un pinceau plat

A l’époque, après avoir suivi des cours du soir pour décrocher le diplôme des Beaux-Arts de Troyes, Chantal Jacquet répond à une annonce des Grands magasins de la ville: étiquettes, réductions pour les soldes… Rien que des lettres à l’arraché, tracées directement au pinceau, sans contour. L’amour la conduit ensuite à Chaumont. Là, Avenir Publicité contacte la peintre en lettres en vue de la réalisation de 4×3 pour des grandes surfaces type Mammouth, Mr. Bricolage ou encore But, pour des pubs sur des enseignes, des camions… Parallèlement, la ville de Chaumont lui commande des panneaux municipaux. Chantal Jacquet est également mobilisée pour les premiers festivals de l’affiche.

La suite, non plus, n’est pas simple: comment réussir la transposition digitale d’une écriture manuscrite? En mars 2020, Timothée Gouraud contacte l’ANRT. Alexandre Bassi va s’atteler à la tâche et créer cette fameuse typographie inspirée de celle de Chantal Jacquet. “Je suis tombé sous le charme de ces lettres”, se souvient Alexandre Bassi. “Un r avec une boucle qui s’envole, un f presque incongru, un s réalisé en trois coups de pinceau”. Non seulement, rappelle-t-il, “la main ne reproduit jamais deux fois à l’identique”, mais, “dans ces manuscrits, toutes les lettres sont liées: selon qu’elle soit au début, au milieu ou à la fin, ce n’est pas la même lettre”. Autre difficulté: Chantal Jacquet oeuvrait au pinceau plat qui, à l’inverse de la calligraphie, tourne sans cesse. 

Les caractères complétés, y compris par l’@

Aujourd’hui, la version “stabilisée et systématisée” du Chaumont script a étoffé son jeu de caractères pour couvrir toutes les langues latines, sans omettre l’indispensable @. Elle a été dévoilée en octobre 2021 à l’occasion de la Biennale du design graphique. 

“J’ai fait ça sans réfléchir et je m’aperçois que ça leur a demandé un travail énorme”, sourit Chantal Jacquet. Plutôt que de se laisser aller au sentimentalisme, elle précise, du tac au tac, qu’elle ne met pas d’accent sur les majuscules. Motif? “Je n’aime pas ça”. Voilà comment rationalité et intuition coexistent, pour le meilleur. 

La création de ce caractère a presque “une valeur de sauvegarde d’un patrimoine immatériel”, complète Timothée Gouraud. De là à le réutiliser, un jour, comme signalétique de Chaumont? A suivre. En attendant, le Chaumont script est accessible à tous, sous licence libre, sur le site de l’Atelier national de recherche typographique www.anrt-nancy.fr/fr/fonts

chaumont script
Quelques exemples des publicités et panneaux municipaux réalisés à la main par Chantal Jacquet. Photos: CD
Chaumont script
Le nouvel alphabet inspiré de l’écriture manuscrite de Chantal Jacquet est disponible sur le site de l’Agence nationale de recherche typographique de Nancy.