Quelque 3000 pédocriminels au sein de l’Église catholique depuis 1950: au-delà de la sidération, dans le diocèse de Reims, des réunions publiques ont donné la parole aux victimes, aux croyants, aux athées.
“Nous sommes au début du chemin. Il y a une réponse facile, le célibat des prêtres, mais on retrouve ce problème dans des familles… Le mariage n’est pas la solution au problème de perversion des uns et des autres”. En cette mi-septembre à Reims, l’archevêque du diocèse, Mgr Eric de Moulins-Beaufort continue de mener l’Église catholique vers un sensible travail de réflexion sur la pédophilie au sein de l’institution. “Pourquoi l’intégration pacifique de la sexualité est-elle si compliquée, je ne le sais pas. Mais on ne peut pas faire comme si la relation adulte-enfant était une relation facile”, poursuit celui qui préside la Conférence des évêques de France (CEF) depuis 2019. Il sait déjà que les chiffres de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase), présidée par Jean-Marc Sauvé, seront “effrayants”. Ce rapport, rendu public le 5 octobre, a évoqué un minima d’environ 3000 pédocriminels au sein de l’Église française depuis 1950. « J’avais été repéré comme étant le faible du troupeau »
« J’avais été repéré comme le faible du troupeau » – Laurent Martinez, comédien
Un tel choc s’anticipe. En amont, l’archevêque de Reims a organisé cinq débats dans son diocèse qui s’étend jusqu’aux Ardennes. La pièce de théâtre “Pardon” y sert de point de départ à la discussion. Écrite par Laurent Martinez, devenu comédien très longtemps après avoir été abusé par un prêtre à l’âge de huit ans, elle avait été diffusée en visioconférence (crise sanitaire oblige) lors d’une assemblée des évêques de France en 2020.
Un moment marquant, quatre ans après l’élément déclencheur de l’affaire Preynat, ce prêtre pédophile qui a conduit l’ancien archevêque de Lyon, Mgr Barbarin, devant la justice. “Depuis 2016, on sait ce qu’on ne voulait pas voir: le traumatisme que cela crée chez les enfants”, a fermement rappelé Mgr de Moulins-Beaufort devant la centaine de spectateurs, croyants comme athées, venus débattre ce soir-là dans la maison diocésaine Sainte-Sixte de Reims. Une salle quasi-pleine, comme s’il était grand temps. “Il faut mettre fin à ce silence, dans tous les milieux. Ce qui est grave dans l’Église, c’est que ce silence a duré trop longtemps”, a réagi une adhérente de l’association catholique des femmes (ACF). Des religieuses ont également été abusées par des prêtres, a-t-elle complété.
Mettre des mots sur des non-dits: la pièce “Pardon” avait suscité une forte émotion lors de sa présentation au festival d’Avignon en 2019. « On m’a volé mon corps d’enfant. J’ai 51 ans et mon âme a huit ans », déclame Laurent Martinez jouant son propre rôle. Pourquoi ce v(i)ol? “Un enfant est une proie facile J’avais été repéré comme étant le faible du troupeau”, a-t-il témoigné à l’issue du spectacle. “C’est mon histoire”. Bouleversé, Francis, un septuagénaire rémois victime d’un religieux à l’âge de dix ans, y a identifié l’une des répercussions de ce drame, sur sa vie comme celle de son entourage: “La pièce évoque la question de la surprotection des enfants. Je ne voulais pas envoyer mon second fils en colonie de vacances alors qu’il le souhaitait. En mai-juin, j’ai eu l’occasion de raconter à mes enfants ce qui m’est arrivé. Mon aîné m’a dit: on se doutait de quelque chose, tu ne parlais jamais de ton enfance”. Francis fait partie des victimes qui ont accepté de dialoguer avec les évêques depuis deux ans et demi.
Comment glisse-t-on de l’autorité à l’emprise?
Cellules d’écoute, indemnisations… Des mesures ont déjà été prises au sein de l’Église.Le “rapport Sauvé” doit permettre de les ajuster. Tout en élargissant la focale. Comment glisse-t-on d’une “relation d’autorité”, qui plus est dans un contexte où l’on appelle “mon père” un prêtre, à “une relation d’emprise”? Pour Mgr Eric de Moulins-Beaufort, ce point “demande une attention particulière”.
“C’est bien que l’Église s’interroge, mais il ne faut pas tomber dans l’excès, elle n’est pas responsable de tout. Il y a aussi beaucoup d’abus à l’intérieur de familles, dans le milieu sportif, à l’école…”, a synthétisé une thérapeute spécialisée. La question se doit d’être traitée dans son intégralité, côté victimes comme côté auteurs. Car, a-t-elle insisté, “les personnes abusées dans leur enfance sont détruites pour le reste de leur vie. Les actes de pédophilie sont des actes catastrophiques”.