6% de vignoble bio en Champagne contre 30% en Alsace. Au-delà des motivations environnementales, des études chiffrent l’impact positif de la conversion au bio, voire à la biodynamie, sur la qualité comme la rentabilité.
Il y a les intuitions et les données. Le vin bio est-il vraiment meilleur que le conventionnel? Et convertir sa vigne au bio, voire à la biodynamie, est-ce bien rentable? Quid aussi de la Champagne, vignoble le plus septentrional de France, où se pratique traditionnellement l’assemblage en raison d’un climat qui n’existe plus aujourd’hui? L’étude menée en 2016-2017 sur 128 000 notes de vins français par les économistes Magali Delmas (Université de Californie, Los Angeles) et Olivier Gergaud (Kedge Business School, Bordeaux) a fait date. Leurs diverses recherches sur la qualité, la rentabilité et l’export des vins bio évitent de se laisser enivrer de mots. Olivier Gergaud était invité à en débattre, le 5 octobre à Reims, par l’Institut Georges-Chappaz de la vigne et du vin en Champagne.
Qualité: c’est vrai
“Nous ne disons pas qu’il y a deux catégories de vins, les conventionnels qui seraient mauvais et les bio qui seraient bons. Ce que nous disons, c’est que le vin passé au bio va améliorer sa qualité”, résume Olivier Gergaud. Cette “valeur ajoutée” a été mesurée par la fameuse étude de 128 000 notes de vins français. Elles émanent de trois guides du vin qui font référence, Gault&Millau, Bettane+Dessauve et Gilbert&Gaillard, et recouvrent la période de 1995 à 2014. S’agissant de la qualité de l’apport environnemental, cette vaste base de données permet de mesurer une évolution positive de +6,2% lors de la conversion du conventionnel au bio et de +5,6% du bio vers la biodynamie.
Plus philo qu’éco?
Protection de l’environnement (85%), préoccupations philosophiques (51%) et santé (51%) figurent sur le podium de l’engagement des vignerons bio, selon une autre étude présentée par l’économiste titulaire de la chaire Consommation responsable. Seuls 8% de vignerons ont déclaré être motivés par l’amélioration des profits. Ce qui a fait sursauter un producteur champenois. Effectivement, “il existe un biais de désirabilité”, rapporte Olivier Gergaud. “Mais il est aussi intéressant de noter que des choses ressortent qui ne sont pas liées à l’argent. On est sur des marchés particuliers, avec des gens passionnés”. Même si cela ne concerne pas tout le monde. Il est des grandes maisons dont les actionnaires sont avant tout sensibles aux notations du guide Parker.
Rentable jusqu’à quand?
Les comptes de résultats des vignerons et maisons n’étant pas disponibles, il a fallu recourir à d’autres sources (INSEE, Vignerons indépendants, Conseillers du commerce extérieur de la France). Résultat: toutes montrent un impact positif du bio. L’enquête menée par la fédération des Vignerons indépendants auprès de 6000 producteurs fait état d’une rentabilité commerciale et financière de +1,6% (du conventionnel au bio). Elle avoisine le +5% (du bio à la biodynamie).
Au-delà des chiffres toutefois, plusieurs interrogations. En particulier celle sur la durée des avantages financiers dont bénéficie actuellement la conversion au bio. Or s’il y a moins d’intrants, il y a davantage de main d’oeuvre pour un rendement souvent revu à la baisse. Les consommateurs devraient suivre de légères augmentations de prix sur des vins déjà plus chers.
Autre élément à prendre en compte: les bénéfices varient d’une région à l’autre. Il est plus facile de convertir ses vignes au bio dans le sud de la France que dans le nord où les attaques liées aux maladies sont plus importantes. Année climatiquement catastrophique en Champagne, 2021 a vu certains vignerons ne récolter que 1200kg/ha. “J’envisageai d’aller vers le bio, mais je commence à hésiter”, témoigne un Marnais qui, pourtant, s’en est sorti cette année. D’où cette question de fond: “Quelle est la capacité de ces méthodes à protéger les vendanges? Avec le changement climatique, on va devoir mettre en place des outils d’assurance qui n’existent pas”, suggère le professeur Gergaud.
Prisé à l’export
Par rapport aux vignerons conventionnels, les viticulteurs certifiés AB sont plus nombreux à exporter (+12,1% selon ces mêmes sources) et ils exportent une part plus importante de leur chiffre d’affaires (+10,5%).
Champagne: les signaux forts des consommateurs
Près de 6% de vignoble bio en Champagne contre 30% en Alsace. Pour autant, le chercheur n’est pas inquiet. La Champagne a toujours été “un vignoble innovant”. D’autre part, poursuit-il, “s’il y a des signaux forts de la part des consommateurs, les conversions devraient aller bon train”. Quant au poids des maisons de négoce en Champagne, le chercheur l’analyse “ comme une faiblesse et une chance: quand on est un négociant, il faut convaincre mille vignerons de passer au bio”.
Ce que les études suggèrent, conclut-il, c’est que le bio est un moyen de se distinguer, de passer du mot “un peu générique de champagne” pour parler terroir, par exemple. A la clef, le vigneron “gagne de l’argent et donne au consommateur l’information qu’il attend”.